Jean-René Bernaudeau. Sponsor en est jeté
Le manager vendéen de l’équipe Europcar a désespérément besoin d’argent pour que son équipe cycliste perdure.
Dans le bocage vendéen, la légende vient encore toquer aux portes les nuits de tempêtes. Devant les voyageurs épuisés par un long voyage, marchant sans trêve le long des chemins sinueux et marécageux, un cheval blanc, le «cheval Mallet», magnifique et sellé, surgirait parfois. Quelle tentation d’enfourcher la monture pour arriver plus vite à destination ! Mais s’il ne séduit pas l’équidé, l’épuisé marcheur devenu cavalier ailé risque de se retrouver, au petit matin, mort, piétiné par les sabots du diable. Perdu pour perdu, Jean-René Bernaudeau, 59 ans, aimerait bien, en ce moment, un cheval Mallet, pour trouver le plus vite possible un sponsor. Europcar, le loueurs de voitures, se retire à la fin de l’année. L’ancien coureur cycliste enchaîne les rencontres avec des investisseurs potentiels comme il le faisait des critériums dans les années 80 : parce qu’il faut bien vivre.
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Une dizaine de jours avant le Tour, on le retrouve dans un hôtel en bord de périph parisien. Il sort d’un rendez-vous. «Cela ne s’est pas bien passé», grommelle-t-il, bronzé et en chemise blanche, avalant café, jus d’orange et croissant. Il paraît en forme, mais, à réécouter l’enregistrement, on est surpris par sa voix un peu lasse et triste, celle d’un coureur qui, sous la pluie, se serait battu toute la journée pour ne pas monter dans la voiture-balai. Le manager retournera le soir même à Saint-Maurice-le-Girard, petit village de Vendée, son fief. Jean-René Bernaudeau est une tête connue du Tour. En 2011, avec Voeckler en jaune, Rolland roi de l’Alpe d’Huez, il a fait le bonheur des téléspectateurs. Son équipe était l’incarnation de la France qu’on aime par défaut, celle qui, à la fin, perd contre plus fort que soi mais a du panache. La donne a changé. Une victoire d’un Français sur la Grande Boucle paraît désormais possible mais cela ne devrait pas être grâce à lui.
Belle vie de chien que la vie de cycliste. On fait le beau, on est tout mignon et on enchaîne les galipettes. Tout le monde vous aime mais vient un nouveau canidé au poil encore plus doux et vous n’êtes plus qu’un chien errant. Avant sa vie de manager, Bernaudeau fut un coureur, un bon. Il débute dans les roues de Hinault, termine 5e du Tour, gagne tout en haut du Stelvio, une étape mythique du Giro, avec un panache donnant encore des larmes d’émotion aux suiveurs. Il tente de devenir leader dans une autre équipe mais la marche est trop haute. Ce sont les années 80, les premières années folles, le début de l’argent et du dopage scientifique. Désormais, tout a changé. En 2015, difficile de rivaliser avec les grosses équipes aux sponsors généreux. Il voudrait y croire encore : «Le fric a tout bouleversé. Plus on est haut, plus on a de devoirs, plus on doit être exemplaire.»
Les Vendéens sont parfois de drôles d’énergumènes, on le sait, on vient en partie de là-bas. Des mélanges de ruraux un peu butés et de marins qui rêvent du large. Ils ont parfois le sentiment d’être en butte au monde entier. Jean-René Bernaudeau ne déroge pas à la règle. A peine la main serrée qu’il nous dit qu’il est «atypique». Il pense que beaucoup, dans le milieu, ne l’apprécient pas. Lui, au contraire, la main sur le cœur, juré, craché, prétend qu’il aime tout le monde ou presque. Son inimité avec Marc Madiot, le patron de la FDJ, est célèbre. Elle ne s’est pas arrangée cette année avec le départ d’un de ses coureurs, Kévin Réza, l’un des rares Noirs du peloton, pour l’équipe adverse. Jean-René Bernaudeau parle de trahison : «La parole donnée, ça a plus de valeur qu’un contrat.» L’homme est connu pour la donner parfois un peu trop facilement, pour ne pas savoir dire non. «C’est un hâbleur, un charmeur, raconte un ancien proche. Mais le côté France profonde, ruralité, amour de la Vendée, c’est pas du théâtre.» «Je l’estime beaucoup, il est très famille et, en même temps, on peut lui dire les choses, ajoute Anthony Charteau, l’un de ses anciens coureurs. C’est vrai, parfois, il veut faire plaisir à tout le monde, il a un côté extrêmement sensible.» Au risque parfois de mettre sa propre santé en danger, victime de surmenage.
Jean-René Bernaudeau a 12 ans, dix frères et sœurs. Il cherche un sport pour exister par lui-même. Il connaît à peine Poulidor, découvre et admire les folies d’Ocana. Le père est agriculteur, mais Jean-René n’est pas fait pour ça. Il passe beaucoup de temps à lire. La mère gère la maison, court toujours tout le temps. Le manager a pris des deux. Il habite encore dans la ferme de son grand-père.
Son premier fils s’occupe de ses trois magasins de vélo, tous situés en Vendée. C’était un coureur prometteur mais une tragédie routière l’a fait abandonner le sport pro. Le second pédale, anonymement, sous les couleurs d’Europcar jusque sur les routes du Gabon où les aléas du calendrier les emmènent parfois. Dans un milieu jugé souvent raciste, Bernaudeau a été l’un des premiers à former et embaucher des Noirs. Il promeut la diversité et la jeunesse, à travers le programme de formation de sa pouponnière amateur, Vendée U. C’est sa grande fierté, avoir créé un vivier de talents, bonnes jambes, bonnes têtes. Il a fait de son département une marque de vélo, bien aidé par ses relations avec Philippe de Villiers, l’ancien président du conseil général. Mais n’allez pas dire que l’animal est de droite ! «Je suis aussi pote avec le chanteur Sanseverino et je tiens une chronique dans l’Huma pendant le Tour. Oui, j’ai passé des soirées formidables avec De Villiers. Il peut être à pisser de rire, mais je ne suis pas du tout catho.» La preuve, il ne fête même pas Noël. «Enfants, on devait mentir pour les cadeaux qu’on n’avait pas.» Ça lui est resté. Le Moloch du dopage est aussi passé par Bernaudeau. Adepte d’une ligne dure contre les tricheurs, au point que certains jugent que «c’est l’hôpital qui se moque de la charité», il s’est fait choper, cycliste, une fois, pour une boîte d’amphés. C’était en 1985, à l’époque où tout le monde en prenait. Il dit que c’était avant les critériums, un petit coup de boost pour ne pas foutre la voiture dans le décor à cause de la fatigue de la route entre deux galas. On n’avait pas prévu d’insister mais il s’agace. «Pourquoi tu veux en parler ? C’est pas intéressant.» L’entretien terminé, dans le hall de l’hôtel, rebelote : «En septembre, je t’explique tout sur le dopage si tu veux, mais pas quand je cherche des sponsors.» Et d’abattre la carte chômage en nous tapotant gentiment l’épaule : «Moi, je m’en fiche. Si ça s’arrête, je vais lire en Guadeloupe [où il a une maison] et je serai très bien. Mais il y a 100 personnes qui n’auront plus de boulot.» Il est comme ça, Bernaudeau, entier, généreux, passionné et parfois maladroit
sources :
http://www.liberation.fr/sports/2015/07 ... e=Facebook